Eros n’avait pas chaud, il n’avait jamais froid non plus, car Eros était un dieu. En revanche, cette qualité divine ne l’empêchait en rien d’apprécier quelques délicieuses sensations, entre autre la baignade qui demeurait l’une de ses activités favorites…

C’est ainsi qu’en ce jour naissant, après avoir contemplé la course d’Eos dans le ciel, suivie de près par son frère solaire, Eros quitta son nuage afin de se rendre dans les Bassins de l’Olympe. Ces derniers temps, occupés à leurs affaires, les autres dieux n’y allaient guère plus, mais du fait qu’Eros n’avait jamais d’affaire très importante à quoi s’occuper, il ne subissait pas les mêmes contraintes. Il fut ainsi ravi de constater que le lieu était vide et paisible, et qu’il pourrait en profiter à loisir.

Il était déjà nu – c’était là son apparat préféré – et il plongea dans l’eau sans même prendre le soin de se tremper les orteils. Fut un temps où Eros craignait l’eau, juste après que sa mère et lui connussent cet épisode traumatique avec le fleuve Euphrate. Ce dernier, les sachant pourtant poursuivis par le dragon Ladon, les avait empêchés de franchir sa rive, les condamnant ainsi à une mort certaine… Sans l’intervention des poissons, certainement envoyés par son grand-père Zeus, Eros n’osait imaginer ce qu’il serait advenu de lui… Et de tout l’Amour du monde !

Cette perspective le fit frissonner vigoureusement, bien qu’il sût qu’elle ne prendrait jamais lieu. Mais pendant des années, le jeune dieu avait été incapable d’approcher un fleuve ou une rivière, ou ne serait-ce qu’un lac, de crainte qu’une autre catastrophe du genre se reproduisît. Heureusement, dans les bassins, il y avait très peu de chances qu’une mésaventure comme cela survînt…

Les Bassins étaient un lieu calme et joli, typiquement Olympien. L’eau elle-même transmettait quelque chose de divin. Jamais aucun mortel ne s’était baigné en ces eaux, et jamais aucun mortel ne serait en position de le faire. Ce privilège plaisait beaucoup à Eros qui ne profitait que davantage de l’endroit sacré. Il barbotait, plongeait, sautait, et pour peu, on aurait pu dire qu’il était aussi à l’aise dans l’eau que dans les airs.

Il aurait pu ainsi passer sa journée à s’amuser dans l’eau claire et pure, n’éprouvant d’autre compagnie que la sienne – ce qui lui allait fort bien car Eros voyait en lui-même un camarade de jeu idéal – mais le destin en fut autrement. Il entendit des pas s’approcher du rebord et, se retournant vivement, encore immergé, les cheveux humides, il fit un sourire malicieux avant de dire de sa voix juvénile :

   -  Ma chère Eos, tu es toute en beauté en ce matin doré. Veux-tu me rejoindre ?